Internet aujourd'hui : introduction

Quelques constats généraux sur l'innovation technique

L'importance de la pensée des techniques et de la culture technique

Les grandes tendances des évolutions technologiques

 


Quelques constats généraux sur l'innovation technique


Quelques remarques sur l'importance cruciale des problèmes socio-techniques aujourd'hui.
Deux grands aspects permettent de résumer et de caractériser cette place essentielle, et gravement sous-estimée, de la "question de la technique" :
- nous sommes dans une période de mutations, de rupture
- l'accélération et la transformation des innovations techniques

A) Une période de mutations, de ruptures :

Le constat des enjeux de l'innovation et des progrès des sciences et des techniques est devenu banal aujourd'hui : cf les nombreux problèmes posés de manière cruciale par l'innovation technique : OGM, vache folle, amiante, téléphones mobiles, manipulations génétiques, etc.
Certes ce constat n'est pas nouveau : la technique n'a jamais cessé de transformer le monde. Selon Antoine Picon, historien et professeur à l'Ecole des Ponts et Chaussées : " la technique est ce qui transforme inlassablement le monde et l'homme afin de les approprier l'un à l'autre. "
L'un des principaux traits de cette actualité et de cette acuité des questions techniques reste sans aucun doute la profondeur et la diversité des mutations.
Citons en vrac et en bref :

  • les nouveaux rapports au temps : avec les technologies numériques, Internet, mais aussi l'accélération des transports, ou les nouvelles formes de structuration du temps par les médias, etc…
    domination, voire tyrannie du " temps réel ", de l'instantanéité

  • les nouveaux rapports à l'espace : phénomènes de délocalisation, de nomadisme, de déterritorialisation…

  • les nouveaux rapports au corps : phénomènes d'artificialisation du vivant, développement des prothèses de toutes sortes, des artefacts, sans parler des manipulations génétiques…

  • les nouveaux rapports au savoir : avec l'éclatement des lieux de savoir, la dissémination des connaissances, le savoir distribué, les nouvelles médiations pédagogiques, etc. ; cette " nouvelle économie du savoir et de la connaissance " aggravant en retour la crise des systèmes éducatifs.

  • les nouveaux rapports sociaux : avec les bouleversements dans le monde du travail, dans l'économie, la culture...

En bref, de très nombreuses questions fondamentales sont posées aujourd'hui par les progrès techniques, aussi bien sur le vivant, les identités, la culture, le savoir... D'où cette notion de rupture, cette idée fréquemment avancée par plusieurs observateurs et philosophes que nous serions dans une période de bouleversements de grande ampleur, comparable à la Renaissance (avec l'invention de l'imprimerie) voire aux débuts de l'écriture.

 
*** nous vivons une période de rupture civilisationnelle " comparable à celle du Néolithique " (selon Bernard Stiegler)

Pour toute une série de problèmes sociaux, politiques, éducatifs…, il devient donc urgent et nécessaire de partir de ce constat de la profondeur des mutations dues aux avancées et aux innovations techniques, de l'impact considérable de ce phénomène d'innovation permanente, de cette transformation profonde et constante des modes de vie, des rythmes, des pratiques, des environnements, des sociétés…

 

B/ L'accélération des innovations techniques, les transformations essentielles dans la nature des techniques elles-mêmes

" Nous sommes entrés dans l'ère de l'innovation permanente " (Stiegler).
Deux grands aspects caractérisent notamment ce phénomène d'innovation permanente :

  • Le caractère ultra-rapide des cycles de l'innovation :
    extrême raccourcissement des délais entre un projet technique et la mise sur le marché d'un nouveau produit ; aujourd'hui, quelques mois, voire quelques semaines, entre l'apparition d'un nouveau produit et sa diffusion ; véritable tourbillon, en accélération constante, d'inventions et d'innovations techniques ;
      *** changement dans la nature des processus mêmes de l'innovation
    • L'une des raisons majeures de cette accélération de l'innovation : l'innovation technique elle-même ;
      Voir les effets "boule de neige" de l'innovation, dus notamment à la dimension collective, collaborative, au travail en réseau, d'Internet :
      > exemple du décodage collectif du génome humain, du développement du calcul partagé en sciences exactes, de l'accessibilité généralisée à l'IST, etc.
    • Plusieurs conséquences majeures de cette "innovation permanente" :

    • - le décalage entre la rapidité des inventions et la lenteur des usages, entre les avancées techniques et la difficulté à "penser" ces techniques :
      le fossé ne cesse de croître entre d'une part l'innovation technique, qui brouille sans cesse les cartes, reconfigure les diverses réalités (sociales, culturelles, économiques, etc.), ouvre constamment de nouvelles possibilités, pose sans répit de nouveaux problèmes éthiques (clonage, génétique, etc.)... et, d'autre part, les usages sociaux, les systèmes politiques, juridiques, pédagogiques, etc., ainsi que les cadres mêmes de la pensée et de la réflexion, toujours "en retard d'une innovation".
      - l'accroissement de la "fracture numérique"
      - les nombreuses manifestations de la "désorientation" contemporaine : perte de repères, crises de l'identité, crise des valeurs... :
      de nombreux symptômes des problèmes et des malaises actuels sont à mettre en relation avec ce tourbillon d'innovations techniques, relations insuffisamment pensées
      (cf sur ces questions : Bernard Stiegler, La Technique et le temps. Tome 2 La désorientation, Paris : Galilée, 1996)

  • L'évolution globale des différentes innovations dans la même direction : le "moléculaire"
    L'un des aspects majeurs de ces transformations dans la nature des techniques est leur évolution " du molaire au moléculaire " (cf Pierre Lévy, L'Intelligence collective) :
    • les technologies " molaires " (de " mole " : terme de chimie, désignant une unité de quantité de matière) :
      selon Lévy, il s'agit des technologies qui " prennent les choses en gros, en masse, à l'aveugle " : par exemple les technologies de la révolution industrielle

    • les technologies " moléculaires " :
      elles interviennent au niveau le plus élémentaire, à l'échelle des micro-structures, avec des possibilités de traitement en finesse, ultra-précis… ; il s'agit des technologies fondées sur la précision, la vitesse..

    Exemple de cette évolution vers le moléculaire dans 3 domaines en plein bouleversement :

    • les technologies de la maîtrise du vivant :
      génie génétique, thérapies géniques, biologie moléculaire, biotechnologies... : après les techniques de sélection artificielle, très anciennes dans l'agriculture, peu précises et assez lentes, évolutions des techniques du vivant vers l'infiniment petit, le gène, le moléculaire, avec une compréhension très fine des mécanismes du vivant, une précision extraordinaire des interventions de l'homme, une vitesse très grande des opérations…

       
      *** La formule des technologies du vivant : "gène par gène "

    • les technologies de la maîtrise de la matière :
      Avec les nanotechnologies, les matériaux " intelligents ", adaptables, " auto-assemblage...,
      évolutions vers la molécule, traitement extrêmement fin de la matière, en contraste avec les techniques de la révolution industrielle, qui traitaient la matière " en gros ". Distinction, selon P. Lévy, entre :
      • les technologies " chaudes ", fondées sur la production de l'énergie, le traitement thermique de la matière… : par ex. l'industrie chimique, la métallurgie, etc.
      • les technologies " froides ", aujourd'hui en plein essor : nouvelles céramiques, cristallographie, " matériaux intelligents ", etc. : possibilités radicalement nouvelles d'assemblage, de recomposition, de transformation, de contrôle de la microstructure de la matière…
        Nous ne sommes encore qu'aux débuts de cette révolution des matériaux (cf par exemple les innovations dans le textile, avec les " vêtements intelligents ", truffés de capteurs et d'électronique, capables de s'adapter à l'environnement)

         
        *** La formule des technologies de la matière : " atome par atome "

    • les technologies de la maîtrise de l'information et de la communication : cyberspace, Internet, les technologies numériques, XML…
      Dans le domaine de l'information, passage également du molaire au moléculaire :
      • les technologies " molaires " de l'information :
        la presse imprimée, le livre... toutes les techniques de l'imprimerie et de la communication fondées sur l'enregistrement, la reproduction à l'identique, la diffusion de masse de messages, fixes, stables dans leur structure (pas de possibilité de modifier un texte imprimé, ou une émission TV une fois réalisée)

      • les technologies actuelles du numérique :
        elles sont moléculaires, car elles permettent d'agir sur la micro-structure des messages (cf par exemple XML, qui permet de coder et de rechercher les messages de toutes sortes au niveau micro, dans la trame même des documents), permettent de modifier à volonté les messages (mobilité)…

        *** La formule des technologies de l'information : " octet par octet, ou bit par bit "

En résumé, les évolutions technologiques actuelles traduisent un véritable changement de " système technique ", au sens de Bertrand Gille (ensemble cohérent d'objets, de dispositifs, de procédés...)


L'importance de la pensée des techniques et de la culture technique


Face à tous ces bouleversements et ces innovations, trois remarques générales :

  • la crise de la croyance dans le progrès scientifique :
    cf le développement des peurs devant les nouveaux défis des technosciences et surtout devant les incertitudes (exemple des OGM…)

  • la difficulté de la pensée à suivre les innovations, à penser les évolutions, à déceler leur sens, à évaluer la place des techniques…

  • l'insuffisance, voire la pauvreté de la culture technique en général, permettant de comprendre et de mieux maîtriser les techniques :
    cf le discrédit récurrent de l'enseignement technique, un certain mépris intellectuel pour les objets techniques dans la culture " littéraire ", la méconnaissance des mécanismes de l'innovation….

D'où cette triple nécessité :

  • la nécessité (politique) du débat autour de l'innovation technique :
    caractère public des controverses autour des innovations, importance de s'emparer collectivement des questions posées par telle ou telle innovation. Exemple probant de la controverse sur les OGM, où de nombreux acteurs interviennent.
    *** enjeu démocratique essentiel, démontré notamment par Bruno Latour et Michel Callon (cf notamment

  • la nécessité (philosophique) de repenser les modèles de l'innovation, de clarifier nos représentations du " fait technique " :

    *** cf par exemple les enjeux des modèles de l'innovation pour les entreprises, soucieuses d'améliorer leur potentiel d'innovation par la compréhension des processus mêmes de l'innovation technique ;

  • la nécessité de développer la culture technique et scientifique, sous toutes ses formes :
    enjeu considérable de la culture et de la connaissance des schèmes techniques, démontré par Gilbert Simondon, pour (re)trouver des relations plus harmonieuses entre l'homme et ses outils.
    *** cf aujourd'hui tout l'enjeu de la diffusion d'une véritable culture informatique

 


 

Les grandes tendances des évolutions technologiques
 
*** Un défi : comment rendre compte des évolutions techniques d'Internet ?

Une première remarque s'impose : la très grande difficulté, voire l'impossibilité à cerner toutes les évolutions techniques concernant Internet, à cause de :
- l'immensité des domaines concernés  : notamment des trois grands secteurs que sont l'informatique, les télécommunications et l'audiovisuel.
*** Internet comme lieu de convergence de technologies et d'univers socio-techniques très divers

- la diversité, l'hétérogénéité des applications : depuis le traitement des données jusqu'aux techniques de recherche de l'information, en passant par les nouveaux modes de codage des documents en XML, les échanges de fichiers sonores, la sécurisation des données, etc.
*** état des lieux exhaustif de toutes les innovations en cours quasiment impossible
  *** Comment les caractériser ? Quels sont les aspects majeurs des innovations actuelles ?
 
 

 


Date de dernière mise à jour :
28 février 2004.

Ce support de cours peut être librement exploité, sous réserve de citer son origine.

  © URFIST Bretagne-Pays de Loire, Alexandre Serres, 2002

 


    • La rapidité :
      même phénomène de "l'innovation permanente"

    • L'explosion des applications techniques :
      spécialisation à outrance de l'informatique et de ses applications, convergence des technologies, etc
       
    • L'augmentation de la diversité des usages :

    • de nombreux usages d'Internet sont encore en gestation, de nouveaux usages, encore inédits, sont à prévoir dans les années à venir, avec les prochaines évolutions de l'Internet mobile...
       
    • La profondeur, la radicalité des innovations :

    • véritables "sauts qualitatifs" franchis dans trois domaines majeurs :
      • le traitement et le stockage des données
      • le transfert des données , la communication : les réseaux sans fil, l'IPv6
      • la production, la structuration des données : XML, le Web sémantique

      •  
  • Quatre grandes tendances des usages et des évolutions techniques :

  •  
    • le "moléculaire" :

    • Comme les technologies du vivant (bio-technologies, génie génétique, etc.) et de la matière (nano-technologies), accélération de cette évolution majeure des technologies de l'information vers l'infiniment petit, le moléculaire, le niveau "micro", notamment avec le "web sémantique", XML, etc.
       
    • la personnalisation :

    • des services, des applications, des techniques, des outils, des ressources...
      Tendance lourde, à l'oeuvre notamment dans les outils de recherche, mais aussi dans la plupart des services offerts par les FAI ;
      > "MonYahoo.com" comme nouveau paradigme technique : cf l'exemple de "MonServicePublic.com" actuellement en projet
      Conséquences sociales, culturelles, politiques, éducatives... immenses de cette individualisation de plus en plus poussée
       
    • la coopération, le travail collaboratif :

    • cf la puissance de calcul partagée, toutes les formes de travail collaboratif en réseau, etc
       
    • la mobilité :

    • Problématique de l'Internet AAA (Anyone, Anytime, Anywhere) ; accès à Internet en déplacement, de partout...
      Ere de l'interconnexion généralisée...
       
    • La transparence des techniques :

    • dissémination d'Internet et de l'informatique, dans les appareils, la maison, l'automobile, les vêtements, etc.
  •   
     

 ce support de formation s'inscrit explicitement dans cette troisième remarque et s'efforce d'apporter les éléments techniques, permettant de mieux comprendre les évolutions d'Internet